Ce 9 février 2006, sa Majesté la Reine Paola visite "La Braise"
centre d’accompagnement pour adultes cérébro-lésés situé à Anderlecht.

Veuillez trouver ci-dessous la lettre à la Reine écrite par les usagers de la Braise.

Lettre à Sa Majesté La Reine

 Madame 

Nous sommes  heureux  et fiers  de vous  accueillir  parmi nous et nous vous remercions pour l'intérêt que vous nous portez, à nous et à nos structures. 

Depuis notre accident, nous sommes souvent confrontés au jugement et au regard des autres. 

Nous-mêmes et nos proches avons besoin de plus de temps pour nous adapter à nos nouvelles réactions. Certains comportements n’ont pas changé, d’autres sont totalement différents. 

C’est très perturbant pour nos proches car ils ont le souvenir de nous avant l’accident et maintenant nous avons un comportement différent, même si nous n’en avons pas toujours conscience. 

A cause de la lésion cérébrale acquise, nous avons du mal à appréhender nos difficultés actuelles. Ce sont nos proches qui nous les font remarquer.

Excepté eux qui nous voient souvent, les autres personnes ne perçoivent pas facilement nos difficultés quand elles sont autres que physiques.

Une partie d’entre nous n’est concernée actuellement que par un handicap invisible. D’autres par contre vont garder des séquelles visibles de leur accident. 

Pour les gens qui ne connaissent pas la lésion cérébrale acquise, c’est moins évident de comprendre ce que nous vivons au quotidien.

En effet, le monde extérieur n’est pas assez informé des séquelles possibles d’une lésion cérébrale acquise et des conséquences qui en résultent. 

D’une personne à l’autre, ces séquelles peuvent être très différentes.

En dehors des séquelles physiques et de comportement, nous pouvons rencontrer des problèmes de mémoire, un manque d’initiative, de la fatigue, un manque de concentration, un manque d’idées, des difficultés à nous organiser, etc…  

Plusieurs d’entre nous présentent également des difficultés de communication telles que des problèmes d’articulation, d’élaboration de phrases, de compréhension, d’expression,…

Nos émotions aussi ont souvent changé. Nous sommes plus sensibles, plus vite en colère, plus tristes, etc… Ou au contraire, nos émotions sont comme inhibées depuis l’accident.

Nous devons faire le deuil de nos capacités antérieures et parfois de nos projets de vie. 

Par ailleurs, il est nécessaire de prévoir un soutien moral et une aide psychologique pour nos proches car eux aussi doivent faire le deuil de ce que nous étions avant l’accident. 

Nous sommes ici à la Braise, afin de mieux nous connaître après l’accident, de nous réinsérer au niveau social et parfois au niveau professionnel, de reconstruire notre vie et d’acquérir une autonomie, de retrouver des activités et des centres d’intérêts.

Nous venons à La Braise avec un projet précis qui nous demande à tous des efforts constants. 

Des lieux différents sont mis en place pour nous permettre d’évoluer : le Centre de jour, le Centre de Réadaptation Fonctionnelle Cognitive, le Service d’Accompagnement et les appartements supervisés. 

Les appartements supervisés nous permettent de tester nos capacités d’autonomie à domicile en toute sécurité.  

Si nous vivons seul, le Service d’Accompagnement nous aide à gérer notre quotidien en travaillant avec nous dans notre lieu de vie. Une de nos difficultés étant de transférer ce que nous avons appris du centre de réadaptation à notre domicile, les nouveaux apprentissages ou ré-apprentissages se font dans la mesure du possible à celui-ci. 

D’autre part, la chargée d’insertion nous aide à trouver et à mettre en place des stages dans des milieux de travail ou des lieux de bénévolat et à trouver des activités de loisirs à l’extérieur, pour nous permettre de nous réinsérer socialement et éventuellement  professionnellement.  

Il n’existe pas beaucoup de centres comme la Braise pour que l’on puisse parler des difficultés rencontrées en tant que personnes cérébro-lésées et les travailler.

Pour notre part, nous avons la chance d’être arrivés à la Braise. Beaucoup d’autres personnes cérébro-lésées n’ont même pas la connaissance de centres comme celui-ci et sont livrées à elles-mêmes ou sont dans des structures inadaptées.  

De plus, tout le monde n’a pas la possibilité d’avoir un centre spécialisé à proximité de chez lui pour se réadapter. En Communauté Française, seuls Bruxelles et Gembloux bénéficient de centres d’accueil dans lesquelles les équipes ont une formation spécifique sur la cérébrolésion. 

Tout de suite après notre accident, les secours sont arrivés très vite. Mais après, ça a ralenti. L’hôpital, un centre, puis un autre, parfois pas d’institution ou une institution inadaptée. 

Nous avons passé de nombreux tests, parfois plusieurs fois, faute d’information entre les institutions.

L’idéal serait d’avoir une personne qui nous suive depuis le début de l’accident pour nous orienter, nous et nos proches, dans nos recherches personnelles. Une sorte d’accompagnateur de vie. 

Nous avons pu remarquer que la presse avait tendance à minimiser la notion de « blessés graves » dans les accidents de la route ou encore les conséquences des accidents vasculaires ou thromboses de certaines personnalités connues.

Pour un accident qui a duré un instant, nous allons cependant passer des années en réadaptation et vivre avec nos séquelles tout le restant de notre existence. 

La Braise Centre de Jour a 10 ans. De cette vie commune, à partager  au quotidien nos rires, nos peines, nos émotions et nos réflexions , comme ici ensemble en table ronde, pour définir au mieux nos besoins et en cibler les nécessités mais aussi surtout d’apprendre à mieux se connaître, est née la sève qui irrigue nos projets et nos réalisations.  

Nous ne venons pas au Centre de Jour  " juste pour passer notre temps". Cela nous demande des efforts permanents et un travail quotidien, ainsi qu'un engagement. Nous sommes acteurs de notre réadaptation et partenaires, avec les équipes , de la mise en place de nos objectifs et de nos projets. 

Comme d’autres structures ont vu le jour à La Braise, grâce à un travail réciproque entre nous et l’équipe, nous espérons que notre projet d'hébergement, qui répond à un besoin criant, voie le jour rapidement.  

Car n' est-il pas insupportable, pour une personne de 20, 30, 40  ans…  de résider dans un home pour personnes cérébro-lésées, sans autre perspective d’avenir,  faute de structures et de soutiens adéquats pour elle-même et sa famille ? Nous attendons avec beaucoup

d’espoir des nouvelles de la commune d’Anderlecht en ce qui concerne le terrain situé square Voets, en face de La Braise rue de la Vigne 

La lésion cérébrale acquise touche tous les domaines de notre vie et nous plonge dans un autre monde fait de solitude, et d’isolement. Nous perdons souvent nos amis. Nous perdons aussi notre emploi ou éprouvons les pires difficultés pour trouver un premier emploi quand l’accident nous frappe adolescent ou enfant.  

Nos familles souffrent et parfois éclatent. Nous n’avons plus de statut . Que dire de nos revenus qui diminuent et de l’augmentation des frais liés aux soins de santé ? Et puis il y a l’effondrement de notre vie affective. Les couples peuvent ne pas survivre à l’accident et célibataire, qu’il est difficile de trouver l’âme sœur. Notre univers se rétrécit, l’accident nous poursuit dans toute notre vie.  

Car les conséquences de notre accident ne font pas qu'une victime. Elles touchent, comme une onde de choc et avec violence les personnes qui nous aiment et que nous aimons, transformant nos vies en un parcours du combattant qui semble sans fin .  

Si l'accident, en une fraction de seconde, peut atteindre chacun d'entre nous,  nous ne sommes pas tous égaux devant ses conséquences. Des disparités existent selon notre âge, notre situation familiale, socio-professionnelle, géographique…mais aussi la nature de notre accident. 

Je m’explique : Il y a une différence entre une personne victime d’un traumatisme crânien des suites d'un accident de la route, en droit, sur le trajet de son travail et donc avec un tiers responsable ou une personne victime d'une rupture d'anévrisme. 

Dans le premier cas, il y aura souvent une compensation financière et une prise en charge financière et ce, à vie parfois., parce -qu'il y a tiers responsable. Pour l'autre son statut sera plus précaire et pas de compensation financière. Mais tous deux ont subi une lésion au cerveau. 

Il faut savoir, Madame, que beaucoup d'entre nous vivent avec beaucoup moins de 1000 euros par mois et une vie après l'accident coûte cher, très cher. 

L'accès au monde culturel et aux loisirs est cruellement restreint faute de revenus suffisants et/ou de moyens de transports adaptés.  

La ville, quoiqu' en disent les politiciens n'est pas encore totalement accessible pour les personnes à mobilité réduite ou ayant des difficultés à la marche. Que dire alors des transports en commun …surtout actuellement les bus, dans lesquels nous devons monter par la seule porte avant… 

Et puis votre monde va trop vite pour nous  . C'est  pourquoi l'aide d'une tierce personne est une nécessité pour nous accompagner dans nos actes de la vie journalière. Que ce soit pour nos loisirs, nos déplacements, nos diverses démarches administratives ou dans le cas plus difficile d'un papa ou d'une maman isolée, pour les aider ainsi dans leur rôle de parents… 

Mais nos familles aussi auraient tant besoin d'une tierce personne pour les soulager un peu dans la prise en charge bien trop pénible d'une vie après l'accident.  

J'aimerais aussi vous parler du monde du travail qui ignore tout de la lésion cérébrale. Même les entreprises de travail adapté, qui dans leur idée originale sont des entreprises qui accueillent des personnes handicapées, ne sont pas adaptées à notre rythme. La fatigue est une séquelle majeure de la lésion cérébrale  .  Et si sur un mi- temps , nous pouvons effectuer un travail de précision, il nous est difficile de tenir toute une journée. Et les entreprises de travail adapté n'acceptent que des contrats temps plein. 

Mais le temps nous  manque  pour développer tous nos constats. Mais il en est un dont nous sommes certains: c'est qu'il manque cruellement de structures comme la nôtre dans tout le pays.  

Nous avons sans doute pris conscience que la vie est fragile. Mais aussi que la vie est plus forte puisque nous sommes toujours vivants.

C'est pourquoi nous avons décidé d'aller à la rencontre des enfants de 10 à 12 ans, par l'action " Un cerveau pour la vie ". Dans un souci de prévention, nous avons expliqué l'importance du cerveau et de le protéger à l'aide d'une brochure explicative.

Mais surtout, la troupe de théâtre a présenté un spectacle: " Monsieur Monsieur ou l'improbable passé " qui décrit en plusieurs tableaux la vie après l'accident.

Nous avons joué devant plus de 2000 élèves que nous avons rencontrés après le spectacle pour répondre à toutes leurs questions.

De plus, un DVD a été envoyé aux différentes écoles n'ayant pu voir notre spectacle.  Je crois qu'à ce moment là, la vie est vraiment plus forte.  

Vous voyez, Madame,

L'accident touche la vie, toute la vie.

Si les progrès de la médecine font que nous avons été miraculeusement sauvés, et que d'autres, à cet instant précis, le sont aussi, si la société nous donne cette chance de pouvoir renaître une seconde fois, donnez-nous la chance alors de pouvoir vivre au mieux notre nouvelle vie.  

C'est pourquoi nous vous remettons, les documents suivants, fruit d'un travail commun, dans l'espoir que nous serons entendus et soutenus dans nos démarches futures.  

Nous vous remercions, Madame , pour ce temps précieux  que vous nous avez accordé.

                                                               Les Adultes de La Braise